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L'interview - Ariane et Jean-Louis

03/11
 
Le 13 novembre paraîtra le premier volume de l’intégrale de l’œuvre du Patron. Cette série monumentale rassemblera, dans l’ordre chronologique, toutes les publications de Gotlib, inédits et pépites oubliées compris. Pour mener à bien ce chantier titanesque, Dargaud et Fluide Glacial ont uni leurs forces avec Ariane Gotlieb et Jean-Louis Gauthey, directeur de l’ouvrage ayant œuvré depuis de nombreux mois à restaurer, nettoyer, recoloriser les planches pour être au plus près de l’esprit de Pilote et Vaillant. Les albums ne seront eux pas publiés dans l’ordre chronologique pour mieux surprendre le lecteur blasé. Nous commencerons par l’année 1967 (Dingodossiers, Gai-Luron…)
Propos recueillis au coin du feu le 3 septembre 2025, un chocochaud supplément guimauves dans la main.
 
 
Anaïs : Quand et comment est né ce projet d'intégrale ? 
Ariane  Il est né il y a longtemps déjà, un peu après le décès de papa. Jean-Louis a toujours constaté et regretté qu’il n’y ai jamais eu de vraie intégrale chronologique.
Jean-Louis : Oui, j’ai toujours trouvé dommage que les différents volumes d’inédits parus entre 1980 et 2000 mélangent tous les registres et toutes les périodes de Gotlib. Ce côté éclaté brisait pour moi quelque chose en termes de compréhension. Je me suis demandé ce que ça donnerait de tout remettre dans l’ordre, en respectant la chronologie de parution dans la presse, semaine après semaine. J’ai commencé à creuser la question et j’ai découvert que les albums, par leur caractère sélectif, avaient rendu invisibles toutes sortes de choses ; des échos, des autocitations, des motifs. Quand Ariane a évoqué l'envie d’une « intégrale intégrale », je lui ai tout de suite fait part de mon idée. 
Ariane : Il fallait pour cela « réunir » Dargaud et Fluide car le projet n’était possible qu’à cette condition (puisque que les volumes mélangent des séries dont les droits sont détenus par ces deux maisons d’édition). Il a fallu discuter un peu mais nous sommes rapidement arrivés à les convaincre de l’intérêt qu’il y avait à présenter l’œuvre ainsi et Jean-Louis était la personne idéale pour s’en charger.
Jean-Louis : Il faut savoir qu’à l’âge de 10 ans, j’ai fait une grosse fixation sur Gotlib. Quelques rêves prémonitoires plus tard, j’avais décidé qu’on allait devenir amis. Et puis le destin s’est mêlé de la partie et j’ai appris que Gotlib habitait la ville d’à-côté. À partir de ce moment-là, je suis parti en chasse et, après de nombreuses péripéties, j’ai fini par localiser ma proie. Là, l’histoire a pris une dimension un peu flippante puisque je l’ai stalké pendant des mois. Au final, on n’est pas devenus amis, Gotlib et moi. Mais je me suis incrusté dans sa maison. J’ai fait d’Ariane ma sœur choisie et j’ai fini par acquérir dans cette famille un statut étrange que je ne saurai pas vraiment définir ; une sorte d’enfant-mystère, adopté à mi-temps (n’oublions pas que j’avais une vraie famille, de vrais parents et un vrai frère qui n’étaient pas forcément ravis de se voir relégués en deuxième division). 
 
 
Anaïs : Comment t'es-tu organisé pour élaborer la liste précise de l'intégralité de l'œuvre du Patron ?
Jean-Louis : Pendant plus d’un an, j’ai passé mon temps dans les bibliothèques, les musées et les centres d’archives. J’ai compulsé et recensé tous les magazines qui avaient publié Gotlib pour constituer une base de données exhaustive. J’ai discuté aussi avec beaucoup de collectionneurs et Ariane m’a filé pas mal de coups de main grâce aux archives de son père. Pour les mois couverts par le premier volume, je pense qu’on a fait le tour de ce qui existait. Mais la quête continue pour les volumes suivants. Il y a toujours des petites choses qui réapparaissent. Ariane a fait pleins de découvertes incroyables.
Ariane : Jean-Louis et moi avons tout épluché ! Des tas d’enveloppes remplies de dessins rangés et triés par papa, étaient conservées chez maman. J’ai évidemment redécouvert mais surtout découvert beaucoup de choses, des dessins de jeunesse, d’avant Vaillant, des dessins publicitaires, des couvertures de magazines, des pochettes de disques, et surtout, plein de planches inédites.
 
Anaïs : Jean-Louis, quelle a été ta démarche et ton ambition éditoriale sur cet album ?
Jean-Louis : C’est assez difficile de décrire la ligne que j’ai suivie car elle est assez tortueuse. Disons que j’ai tenté de faire, à mon niveau, ce que Peter Jackson a fait avec sa série sur les Beatles, « Get back ». Il ne s’est pas contenté d’exploiter des archives ; il les a restaurées, améliorées, remontées. Certains peuvent penser qu’il a triché. Moi, je vois surtout qu’il a effacé beaucoup de mensonges et qu’il est infiniment plus près de la vérité de cette histoire que tous ceux qui l’avaient précédé. Donc je n’ai cessé d’arbitrer entre les sources (versions album ou version magazine) et de corriger quand c’était nécessaire. Pour cela, je me suis appuyé sur ma connaissance historique des techniques d’impression et sur ce que Gotlib avait pu me dire sur les livres, ses regrets et ses mécontentements. L’analyse des originaux a aussi aidé à faire des choix et Ariane et moi en avons retrouvé le maximum, ce qui a permis de réparer certains problèmes présents dans les livres.
 
 
Anaïs : Avez-vous une planche fétiche ? Ou un album de prédilection ? Un dessin doudou ? 
Jean-Louis : La couverture d’Hamster Jovial mise en couleur par Mœbius, je pense. Mais c’est ex-aequo avec la couverture de La Rubrique-à-Brac Tome 2 (mon premier livre de Gotlib). Mais c'est à égalité avec les 5 premières couvertures de Gai-Luron. Mais… Vas-y, Ariane. 
Ariane : Merci pour la patate chaude, Jean-Louis, heuuu, l’œuvre entière est mon doudou, allez savoir pourquoi… Hamster Jovial est sans conteste mon petit chouchou, quand je l’ai eu entre les mains, je pense que n’importe quel pédopsychiatre aurait dénoncé mes parents à DDASS. Mais interdire c’est inciter, et après avoir compulsé Gai-Luron, qui était plus de mon âge (même si les degrés supérieurs m’échappaient), je découvrais l’humour adulte délirant, parfois noir, qui reste encore mon préféré aujourd’hui ! Les Rubriques-à-brac: « Réflexions non dénuées d’intérêt » ou « Et le cercle fût » m’ont également marquées au fer rouge.
 
 
 
 
 
 
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